12 Juillet. J’ai les épaules en feu. Mal aux pieds, aux
mollets, aux cuisses, aux fesses, je suis fa-ti-gué. Je n’en peux plus. Mais
qu’est ce que je fais là ? Je marche, pousse porte ma bécane depuis 3 heures.
Je suis au bord de l’abandon. Mais qu’est ce que je fais là ? Je regarde
ma carte. J’ai à peine fais la moitié de cette côte qui n’en finit pas. Une heure
que je marche en poussant ma trottinette. J’ai mal partout. Mes reins me font
souffrir, j’ai le dos en compote. Chaque pas me fait mal sous la plante des
pieds. Et ce p… de sac qui pèse une tonne. Je n’y arriverai jamais. Je regarde
le sommet, je vois les voitures loin, loin… il faut que je monte encore tout
çà ? Je dois m’arrêter, me reposer et attendre que ça passe. Allez hop,
ravitaillement obligatoire et pause à durée indéterminée sinon je craque. Comment j’en suis arrivé là ?
La veille, départ de Vendargues à 7h30. Je
rejoins StMathieu-de-Trévier par de longues pistes sous les pins,
peu de marche. C’est très roulant. La température est correcte. Très agréable.
Le porté du sac est déconcertant. Lourd aussi. Je me demande dès le début
comment je vais tenir longtemps. Je découvre une nouvelle difficulté à chaque
poussée : Relever le poids du corps sur la jambe d’appui avec 12 kg en
plus. Pourtant j’ai pris le minimum, mais c’est encore trop lourd. Tente, sac
de couchage, matelas, affaires de rechange, outils, la bouffe pour deux jours,
les outils en cas de casse, le GPS, téléphone, appareil photo et mon
portefeuille. Voilà ce que donne 12 Kg. Y’en a en trop… mais où ? D’autant
que même en position basse ma Xh reste un modèle de hauteur, rien à voir avec
le Racer de chez Kickbike. J’accumule donc les difficultés. Dès le départ je commence
à avoir les cuisses et les mollets qui font actes de présence. Vite un gel
anti-crampes et ne pas forcer. J’ai deux jours à tenir moi !!
J’arrive au pied du Pic St Lou. Je commence l‘ascension
mais 5 minutes me suffisent à voir que c’est impossible. Portage obligatoire.
Zut, je ne vais pas commencer par porter tout de même je suis venu pour pousser
moi !! Demi tour et je prends une petite route qui contourne le Pic par le
sud, vers 11h j’arrive à un village désert qui dort sous un soleil de plomb. Pas
une âme qui vive. Village fantôme dont toutes les maisons sont proprettes et
neuves. Etrange ambiance. Décor de cinéma où on attend les techniciens et
acteurs? Je refais le plein d’eau et me ravitaille. Un peu de fraîcheur avant
d’attaquer une route où il n’y aura pas d’ombre pendant plusieurs kilomètres.
Une petite route de campagne droite qui n’en finit pas. On se croirait aux
Etats Unis, une succession de lignes droites parfaite qui montent et descendent
par vagues. Monotonie, monotonie. Sur ce genre de route, tu déconnectes ton
esprit de la réalité et tu le laisses partir à sa guise. Je chante, me fais des
films. Le temps passe plus vite Le soleil commence à taper fort. Je m’hydrate
sans arrêt et finit par arriver à Viol-le-fort. 12h45, arrêt déjeuner.
Le
GPS me donne :
Distance
|
Vitesse
Max
|
Roulage
|
Moyenne
Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne
Globale
|
40
|
41,2
|
3h45
|
10,9
|
1h35
|
7,6
|
J’avale
une bière d’un trait tellement j’ai soif. Après mon repas je plonge du nez, une
petite sieste d’un quart d’heure à l’ombre.13h30 je repars frais et dispo. Il
fait chaud et j’aime ça. J’ai relevé une piste sur les crêtes qui devrait me
mener vers St-Guilhem le Désert mon étape du soir. Je prends donc cette piste
en m’arrêtant souvent pour vérifier sur ma carte. Au début tout va bien, puis
lentement le chemin ne suit pas la carte. La piste est pourrie, elle a l’air
d’avoir été tracée il y a peu de temps. Impossible de rester sur la bécane en
descente, je frôle le trial. Les montée et descentes sont courtes et violentes,
ça touche partout. Je vérifie sur la carte, impossible, je ne suis pas sur la
bonne piste. Je ne la « sens »
pas cette piste, demi tour. Décidemment, la deuxième fois depuis ce
matin !! Bon, nouveau plan B je reprend la route vers St-Guilhem. Je
repère plus loin un autre chemin qui passe par une chapelle notée sur la carte
comme curiosité. Enfin, je peux reprendre une belle piste roulante avec
quelques descentes rapides. Je peux m’amuser. Une pause ravitaillement à la
dite chapelle, à la fraîcheur des arbres. Je n’ai plus qu’une idée, foncer vers
l’Hérault où je pourrai me baigner prêt du Pont du Diable. En effet, la piste
rejoint directement une plage le long de la rivière. 16h, j’y arrive après être
passé par un chemin à profil descendant à traver les vignes. Imaginez un peu la
tête des touristes qui ont vu arriver un cinglé avec un sac à dos gigantesque
sur une trottinette…. Je me désape et plouf !! Rhâââ …Lovely !! Je
revis …. J’ai tellement faim que je sacrifie mon repas du soir à la place de mon goûter. Pour mon quatre-heure je me tape
donc une salade de nouilles .Tant pis, je mangerai au resto à St-Guilhem. Après
ce rafraîchissement je reprends la route pour la fin d’étape de la journée. Là,
après avoir avalé mon habituel demi cul-sec, je prends deux heures de repos
complet. Après une grosse salade de crudités, je m’avance pour chercher un coin
pour planter ma tente. Il est 19h30. La température est idéale. J’attaque la
montée du cirque de l‘Infernet par le chemin de St Jacques de Compostelle. Une
trottinette en pèlerinage ! C’est sûrement une première mondiale. J’ai
devant moi 3Km de grimpette à 10% par un petit sentier où je dois régulièrement
porter la trottinette pour passer les obstacles. A pied on ne s’en rendrait pas
compte, mais là gulp ! Je monte doucement en cherchant un endroit où
dormir. Je finis par trouver une avancée de rocher au dessus des falaises qui
m’entourent. Un vaste espace de 1000 m2 environ au dessus du vide. Quelques
mètres quarré de plat. L’idéal. Je me pose enfin. Je suis à 200 m au dessus du
village de St-Guilhem. Presque au sommet. Au dessus de moi les falaises, autour
de moi le vide et le cirque. Plus loin vers l’est je vois tous les plateaux au
bout duquel il y a le Pic StLou dont je devine la pointe à l’horizon. C’est
grandiose. Il ne manque plus que des chœurs Orthodoxes (les scènes de chasses de Voyage au bout de l’enfer pour les cinéphiles).
Quant je pense que certains dépensent des fortunes pour aller au bout de monde
et que moi j’ai ce spectacle pour moi tout seul. Le plus beau palace du monde
qui m’ait réservé en exclusivité. 21h30 dodo. Se sentir intégré au monde ….. Je
me rappelle les paroles de Sylvain Tesson (le
voyageur-écrivain) qui parlait de vouloir se faire enterrer au pied d’un
arbre afin qu’il puisse nourrir la terre après lui avoir tant pris. La boucle
est bouclée. On rend ce qu’on a pris, on fait partie intégrante du même
univers. Dans ces moments là on le ressent pleinement.
Le
GPS me donne :
Distance
|
Vitesse
Max
|
Roulage
|
Moyenne
Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne
Globale
|
66
|
46,6
|
6h00
|
10,8
|
3h50
|
6,6
|
On est en plein zen-attitude, philosophie verte, retour
vers la nature et pourtant on regarde encore son GPS. Paradoxe de l’être
humain….
Réveil 6h, je tiens à démarrer tôt pour attaquer la
suite de l’ascension. La journée d’hier fut chaude, aujourd’hui il est prévu
encore plus chaud et je serai sur les
plateaux. Enfer assuré. Il fait tellement sec qu’il n’y a pas une goutte de
rosée sur la toile de tente. Moi qui suis habitué aux réveils en haute montagne
où tout est trempé, c’est très étrange. 6h30 nu devant les falaises avec le
soleil levant qui leur donne une couleur orange/rose, je suis le premier homme
sur terre, c’est extraordinaire.
7h00 je reprends ma montée et j’arrive rapidement au
sommet. Toujours sur le chemin de St Jacques. Celui ci ondule sur le sommet, je
peux enfin pousser. Par endroit je suis dans un tunnel végétal à l’ombre. Pas
bête les pèlerins. Le chemin passe par les endroits les plus abrités du soleil.
Je vois surgir le Mt St Baudille mon prochain objectif. Il culmine à 800m
d’altitude. Je vais le gravir avec le soleil dans le dos. Mais il n’y aura pas
d’ombre, le paysage est minéral. Sauf que … une fois encore je me trompe de
route. Je suis sur une grande piste forestière qui doit permettre l’accès des
pompiers, c’est une autoroute. Je file dans de grandes descentes, quelques
côtes à pousser et ça repart en descente, fantastique. Du coup je rate mon
intersection et me retrouve plusieurs kilomètres en aval de ce que j’avais prévu.
Zut. J’ai alors le choix entre remonter par la route en poussant 3Km puis
attaquer le sentier de 4km (450m de D+)
en plein soleil ou me laisser glisser jusqu’au village d’Arboras et prendre la
route du col du vent. Là se sera 8km à pousser mais à l’ombre. Il ne me reste
qu’une gourde d’eau. J’assure et choisit Arboras. Je pourrai y faire le plein
d’eau.
Et voilà comment je me retrouve dans cette côte épuisé,
démoralisé et tout endolori.
Assis sur un rocher, je regarde les cyclistes passer.
Ce col est un haut lieu des « pédalistes »
de la région. Ca grimpe en suant sang et eau, ça descend à fond, j’ai mon
spectacle. L’arrêt me fait du bien. Après un bon ravitaillement et du repos, le
moral revient. Je vais la finir cette côte, en avant. Je reprends ma marche
forcée pour vaincre ce col (703m) en
2h20. Je suis enfin sur le Larzac. Je peux pousser sur les quelques kilomètres
qui m’amènent à StMartin-La-Vacquerie où je m’affale au « Larzac Café ».
Le
GPS donne :
Distance
|
Vitesse
Max
|
Roulage
|
Moyenne
Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne
Globale
|
91
|
51
|
9h35
|
9,5
|
6h12
|
5,8
|
Une bière cul sec (comme
d’hab !). Le patron du restau m’a
doublé dans la côte. « Ben alors
vous estes là ? Chapeau ! » Il me fait une salade composée
de crudité modèle « TRex »,
je n’avais jamais vu un monstre pareil. Je l’avale goulûment. Je reprends des
forces et suis prêt à attaquer le final. Quelques kilomètres de routes sous le
soleil pour la digestion puis j’arrive à StPierre de la Fage.
Voilà je suis devant mon graal. C’est pour ce genre de
piste que je pousse depuis hier matin. Elle est là devant moi serpentant plein
nord au milieu de rien. Pratiquement pas de végétation tellement c’est sec. Pas
de bruit, même les cigales ont trop chaud. Devant moi une dizaine de kilomètre
de vide. Un four où le soleil tape comme sur une enclume. Je repense à Laurence
d’Arabie. Va savoir pourquoi. Moi qui rêve du Marathon des sables, je vais en
avoir un tout petit aperçu, pas grand chose rien qu’une cacahuète. Je sais que
c’est le secteur où je n’aurai pas de plan B. Pas de routes de dégagement. Si j’ai
un problème physique ou mécanique, je préfère ne pas penser aux conséquences.
Mais ce genre de paysage je m’y sens chez moi. Une partie de mes racines est
dans ce désert (l’autre moitié étant chez
les vikings). C’est mon terrain de jeux depuis tout petit. Ces causses je
les ai traversés en moto d’enduro, puis en 4X4,
puis en VTT puis en courant, par des températures infernales en été et
polaire en hiver (on y a noté -20° par
endroit). Et je ne parle pas du vent quand il est de la partie. Nico, Thierry
et Christian connaissent le coin, ils savent de quoi je parle. Maintenant c’est
en trottinette que je vais m’y frotter.
Ce coté désertique a un avantage, je serai capable de couper en hors piste si
le besoin s’en fait sentir. Ici on navigue à vue et j’en connais tous les
pièges depuis toutes ces années. Il est 14h, il fait 34° à l’ombre, je m’engage
dans le four avec excitation. J’ai une pêche énorme, mes trois gourdes pleines.
Le Larzac n’a qu’à bien se tenir, j’arrive.
La difficulté sera à la hauteur de mes attentes. J’arrive
à pousser pratiquement tout le temps ce qui maintient mon moral. Je ne vais pas
vite mais au moins je ne marche pas. Le soleil me mord les bras. J’ai
l‘impression littéralement de brûler. Je m’arrose les avant bras, la nuque et
les jambes régulièrement. Je bois sans arrêt. Je me sens au top de ma forme, je
jubile. Je fais super gaffe et je me régale du paysage. Aucuns signes de
faiblesse physique. Je suis en train de réussir mon pari. Au milieu de cette
fournaise je me sens dans mon élément. Le plateau me fait alors un cadeau de
bienvenue : un léger vent arrière se lève. Que du bonheur je vous dis. J’ai
envie de hurler tellement je suis content. Au bout de quelques kilomètres je
traverse un hameau vide où surgit un chien pourri tout droit sorti d’un film de
Romero « Le retour des chiens
zombi ». Cette chose hideuse et moisie se jette sur ma roue arrière
pour la mordre. Hé Ho !! Je ne vais quand même pas crever sur
morsure ? Un petit sprint et je le
distance. Il n’arrive pas à me suivre le pauvre il suffoque sous la chaleur …
Séance photos auprès de menhirs puis après une bonne heure j’arrive enfin au
village qui marque la fin du désert. Celui ci accablé par la chaleur est vide.
Je cherche un point d’eau. Je pose la bécane et voit un papy dans un jardinet.
Lui parlant de l’objet de ma recherche, il me demande d’ou je viens. Quand je
lui dis que la nuit dernière j’ai dormi à St-Guilhem, il me regarde avec des
yeux ronds.
« Et vous marchez depuis ce matin ? Avec
cette chaleur ? » « Mais
pourquoi vous faites çà ? C’est un défi ? »
« _Non, non, juste pour voir si c’est possible
c’est tout … »
Il
reste sans voix et m’indique le robinet du village. Je peux enfin refaire le
plein d’eau, j’étais à sec !!
Je reprends la route toujours sous la chaleur qui en
plus maintenant est renvoyée par le goudron. Il me reste une vingtaine de
kilomètres où je pousserai tranquillement en profitant du moindre faux plat
descendant. J’ai toujours la forme, malgré des douleurs aux jambes et au dos.
J’arrive à destination à 17h00.
Au final
Distance
|
Vitesse Max
|
Roulage
|
Moyenne Roulage
|
Arrêts
|
Moyenne Globale
|
125
Km
|
51
Km/h
|
12h40
|
9,9
Km/h
|
8h
|
6,1
Km/h
|
Dénivelé
positif cumulé : 2000 m.
Bien
entendu dans les 8h d’arrêts ne sont pas comptés la nuit.